C’etait pendant la soutenance de thèse de Francesca Merlin le 8 juin dernier, soutenance dont je voulais longuement parler, mais voilà, le tps passe, et les sujets attendent….
En résumé, elle a fait une brillantissime soutenance (ppt bientôt ici si elle est ok), le jury était dur tout en étant très élogieux. C’etait super interessant et inscructif, mais j’ai pas tout compris…
Miroslav Radman, membre du jury (examinateur) a fait une intervention assez folklorique, qui a mis mal à l’aise et bien fait rigoler les philosophes des sciences (et scientifiques comme moi ?) présents dans la salle.
Mais (vu le titre du billet, et comme je veux (enfin!) twitter ce scoop avant qu’il ne soit publié plus sérieusement), je ne vais pas détailler tout de suite les différentes énormités qu’il nous a servies (mais si vous insistez, promis je mets mes notes au propre, car ça vaut le détour–sauf si plus rien ne vous étonne de MR ?)
Voilà le scoop tel qu’il l’a annoncé (et tel que j’ai pris mes notes, et tel que j’en ai bavardé au pot avec Michel Morange, perplexe comme moi) (mais il rappellait que « dans cette équipe, ils sont très astucieux »):
« J’ai le plaisir de vous annoncer qu’on a une méthode fluorescente pour voir chaque nouvelle mutation. On peut donc les compter, qu’elles soient retenues (par la selection naturelle, ndlr) ou pas. Cela sera publié dans 2-3 mois »
Michel Morange m’a dit que M. Radman avait parlé de la découverte (espérons-le en termes plus scientifiques et rigoureux) à un congrès (?) à Vancouver (dont MR racontait qu’il revenait exprès pour la soutenance, justement).
Mes questions:
- Dans quel bêbête on se place ? Coli ou un phage ? ou ?
- De quelles mutations parle-t-on ? les mutations ponctuelles ?
- Pourquoi ça parait si difficile de voir TOUTES les mutations ? Pour plein de raisons. Déjà 1 mutation (ponctuelle), c’est au niveau d’une molécule, donc comment « voir » ça ? il faut amplifier l’adn muté et/ou amplifier le signal fluorescent. D’autre part, comment distinguer, biochimiquement, au moment où se fait la mutation, entre le brin muté et le brin d’origine ? Puisqu’il faut qu’on ait un signal quand on a mutation (ie pas de signal avant ni à côté)…Ceci dit, voir toutes les mutations, ne veut pas dire les voir au moment même où elles aparaissent.
Amis biologistes molécularistes (moi ça fait trop longtemps), j’attends vos idées :
1/ Comment feriez-vous ?
2/ Pourquoi n’a-ton jamais réussi jusqu’à aujourdhui, où se trouvent/aient les verrous techniques ?
Bon, je vais essayer de me lancer dans quelques spéculations à partir de 2 faits, de mémoire :
-Miro a découvert le système MRS (mismatch repair system) qui détecte et corrige les erreurs de réplication, donc les mutations
-il a publié récemment une méthode pour détecter les évènement de conjugaison, c’est-à-dire de transfert d’ADN d’une bactérie à une autre. L’ADN transféré était méthylé par la bactérie donneuse, et était ensuite répliqué par la bactérie receveuse sans méthylation. En revanche, la bactérie receveuse exprimait une protéine qui reconnaissait l’ADN hémiméthylé (un seul brin méthylé), ce qui la rendait fluorescente.
A mon avis, ce qu’il faut pour détecter les mutations individuelles, c’est exploiter le fait qu’elles se produisent pendant la réplication et qu’elles induisent transitoirement un appariement aberrant sur l’ADN, du moins jusqu’à la prochaine réplication. Pas besoin d’amplifier et séquencer tout l’ADN, le système MRS fournit des outils (des protéines quoi, appelons-la X) capable de reconnaître de tels mésappariements. Le problème est ensuite d’amplifier ce signal « la protéine X a reconnu une mutation », mais ce n’est pas impossible. Si ça se trouve, il a construit un rapporteur analogue à celui de l’ADN hémiméthylé mais assez puissant pour être détecté à partir d’une protéine. C’est l’hyopthèse la plus simple et la plus hasardeuse. Après, il est possible que X ayant reconnu un mésappariement initie une cascade de réactions ou d’interactions avec d’autres protéines, mais je ne sais pas sur quel système ça peut reposer (Jun-Fos? Luciférase? le complexe MRS lui-même?). On sait juste qu’à la fin c’est fluorescent. Par ailleurs, il faut que l’amplificaiton du signal soit assez limitée, reste locale, sinon on perd la possibilité de compter les mutations.
une autre réaction (par mail) par un ami (inclassable). Pose exactement la question que je voulais poser, mais on est doué ou on ne l’est pas…
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ca donne envie d’en savoir plus, en efffet
et la question n’est pas « comment ont ils fait une chose aussi difficile ? »
mais « qu’ont-ils fait que l’on puisse décrire par –voir toutes les mutations qui apparaissent– »
La phrase de Miro peut coller a beaucoup trop de choses, ne serait ce qu’a du sequencage ameliore ou plus vraisemblablement de l’etude de mismatch avec des sondes de sequence connue et marquées avec des couples fluorophore quencher, ou un truc proche …
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Une autre contribution d’ami biologiste (plutot moléculariste ?) (reçue par immédiat retour de mail)
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Voici des idées vagues d’un lunch break
Il s’agirait de reconnaître deux bases qui ne vont pas ensemble (sauf si on inclut des choses comme l’incorporation de bases modifies, oxydes, alkyles et autres « pre-mutations », qui ont dans tous les cas des bonnes chances d’etre reparées).
Une possibilite est MutS, qui peut reconnaître des mesappariements, très petites insertions et deletions, sans trop de différenciation, bien qu’il ne sache pas réparer la mutation si l’ADN n’est pas nouvellement synthétise et donc hemimethyle (Dam, chez. E. coli). Chez beaucoup d’autres bactéries le système Mut suit le replisome et l’activité serait dirigée vers le brin néosynthetisé par l’asymétrie du complexe protéique. Si par des techniques d’ADN recombinant, on produisait suffisamment de MutS pour saturer le réplisome et en avoir pour trouver aussi la plupart des autres problèmes on pourrait dire qu’on auvait reconnu les mutations.
S’agirait maintenant de faire de sort que MutS reste collée à la mutation, ou modifie l’ADN à proximité de sorte qu’on puisse ensuite la détecter (En temps reel, on pourrait le lier à la GFP, comme ils font pour suivre des éléments fonctionnelles du chromosome, mais cela ne marquerait pas durablement la mutation.) Protéine MutS mutante qui lie plus fortement l’ADN (sans perdre de la spécificité pour les mutations) ? Avec MutS lié à une enzyme on pourrait imaginer une glucosylation, biotinylation par ex, ou même une liaison covalent de la protéine à l’ADN ?
Je suppose que cela devrait marcher chez l’humain également .
Comment on trouvera la séquence de la mutation ? plus complique …
J’y réfléchis, mais on aura la réponse dans deux ou trois mois.
c
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Je ne m’y connais pas en bactos et encore moins dans celles de Radman bien qu’en ayant entendu parler. Donc, je ne peux pas « juger » vos hypothèses.
Pour la biologiste cellulaire que je suis, voir les mutations, ça veut dire faire du séquençage par microscopie fluorescente. Du moins c’est comme ça que je le comprends.
Sur ta lame, l’ADN est étalé (technique archi vieille pour analyser les sites d’initiation de réplication) et tu hybrides avec des nucléotides fluo specifiques. Un brevet est déjà paru ou est en cours sur le sujet. A l’ENS, d’autres avaient eu la même idée mais le brevet était déjà pris (c’est comme ça qu’on a su qu’un brevet était en cours). Un article a été publié l’année dernière je crois sur ce type de séquençage mais je n’ai pas la ref.
Bien évidemment, le facteur limitant c’est la résolution de ton microscope. Depuis quelques temps on arrive à faire des microscopes de plus en plus résolutifs et donc ce genre de technique devient possible.
Pour voir les mutations, j’imagine que tu te bases sur un ADN « témoin » qui te donne un certaine image (en 4 couleurs ) et puis tu la compares à tes échantillons.
Je ne suis absolument pas sûre qu’on puisse « voir » des mutations avec ce système, ce n’est qu’une hypothèse mais l’histoire du séquençage par microscope est vraie. En revanche je ne sais pas à quel stade ça en est, ni comment ça fonctionne exactement.
Y’a des papiers ici que je n’ai pas lu mais qui en parlent peut-être :
J Nanosci Nanotechnol. 2009 Feb;9(2):965-8.
Labeling patterned DNA molecules using CdS fluorescence nanoparticles.
Biotechniques. 2008 Oct;45(4):385-6, 388, 390 passim.
FISH glossary: an overview of the fluorescence in situ hybridization technique.
Je n’ai pas cherché à retrouver l’article dont j’ai parlé plus haut mais faudrait voir 2007 je pense, en fait.
Il y a la définition d’un des Graals des biomol qui s’occupent de séquençage qui semble coller avec l’annonce de Radman, en y ajoutant un plus même.
Une des façons d’exploiter le séquençage nanopore pourrait être de coupler la « porine » avec une protéine fluorescente dont les caractéristiques absorption/émission changeraient en fonction de la nature de la base qui traverse la « porine ».
La lecture de la séquence serait possible dans ce cas « à distance » (pas d’électrodes) et sans être destructive pour la molécule lue, pas de digestion, à condition de pouvoir pousser l’ADN à travers la « porine »
Une des solutions envisagées a été l’utilisation de la conjugaison qui canalise une molécule unique d’ADN.
Ca serait vraiment beau s’il a un tel système disponible, pouvoir lire la séquence et laisser la molécule « vivre sa vie » pour voir quels mutations seraient sélectionnées.
Si Radman ne l’a pas, la course continuera certainement, au moins pour disposer un système in vitro.
La solution proposée par Bea est fonctionnelle mais trop lourde et pour l’instant je ne connais pas des applications qui pourraient être praticables de façon plus ou moins routinière.
L’ami biologiste (moléculariste) est très proche du Graal que j’ai évoqué mais MutS ne donnerait pas d’info séquentielle directement, il faut contraindre la molécule de passer par le « lecteur ».
ce n’est pas que les mutations ont changé de genre, c’est que j’aurais dû écrire « …pour voir quelles mutations… » 🙁
Merci à tous pour vos contributions ! Je me sens loin de la bio mol et des astuces nécessaires à résoudre de tels problèmes…
Je me dis, comme Benjamin et C que connaissant le labo de Radman, ils ont dû bosser sur une des protéines qui se pointe là où il y a de la réparation à faire. La protéine (fusionnée à la GFP ?) deviendrait fluo que sous sa forme active (c’est faisable, non?).
Mais cela voudrait dire qu’ils visualisent, au mieux chaque réparation (si la sensibilité résolution sont assez bonnes) et non pas chaque mutation (car évidemment chaque mutation n’est pas automatiquement réparée, sinon, il n’y aurait jamais de mutation transmise, jamais de variation, donc jamais de sélection, et donc jamais d’évolution).
Le vieux singe aurait-il sur-vendu sa découverte ? Comme dirait un autre copain » j’avais pensé à la réparation, c’est leur specialité, la présentation astucieuse des manips aussi … «
« Mais cela voudrait dire qu’ils visualisent, au mieux chaque réparation »
-> seulement si la reconnaissance des erreurs est le processus limitant dans la réparation
Problème de la GFP : on ne peut pas détecter une seule protéine ; en plus, rendre la GFP active lorsque la protéine à laquelle elle est fusionnée se fixe à l’ADN, c’est faisable mais vraiment pas évident. Je pense donc qu’ils ont utilisé un autre « output ».
On verra à la publication, mais plus j’y pense et plus je crois qu’ils y sont véritablement arrivés ; le système MRS c’est exactement ce qu’il faut, et ils ont l’expertise en génétique et imagerie pour faire le reste.
Il y a un an, quasiment jour pour jour, sortait un papier dans PNAS (Lynch et al., v105, July 2008) qui, bien que n’ayant pas le mérite de proposer une méthode révolutionnaire pour voir les mutations, était le premier à déterminer le taux de mutation « genome-wide » dans plusieurs souches de levures en évolution expérimentale (avec goulots d’étranglements et tout le bazar).
Je conseille de lire l’avis de Kondrashov sur le sujet (
https://www.pnas.org/content/105/27/9133.full) le rêve de bcp de généticiens des populations est en train de se réaliser 😉
Mais si Radman & co peuvent faire mieux que les techniques actuelles de séquençage, alors bravo ! Réponse dans qq mois…
Pas de nouvelles ? Tu t’engages à nous décrypter le dénouement du feuilleton à la sortie de l’article ? (les 2-3 mois sont presque passés….)
8 mois après ! du nouveau sur la nouvelle méthode? Merci
A Tareq et François :
C’est un peu la cata car non, pas de nouvelles ! Vérifie sur PubMed de temps en temps (je cherche radman, m), et RIEN. On ne peut pas imaginer qu’il publie sans son nom même s’il n’a dû faire aucune des manips (dernier auteur, plutôt ?).
Doit-on en conclure simplement, comme certains me l’ont suggéré, qu’ils ont de la don de la com’, dans ce labo, et que les résultats (publications faites par les thésards et post-docs, par exemple) ne suivent pas toujours (ou ne répondent pas aux annoncent faites) ?
J’ai cru entendre que des gens pas tout à fait bienveillants vis-à-vis de moi lisaient cependant ce blog (merci de leur intérêt), peut-être en savent-ils plus ?
Voir l’article:
« SEEING MUTATIONS IN LIVING CELLS »
Current Biology 20, 1–6, August 24, 2010 a2010 Elsevier Ltd All rights reserved DOI 10.1016/j.cub.2010.06.071
Salutations
Miro Radman