Archives de Catégorie: comprendre le monde

L’écologie est-elle de droite ou de gauche ? #sciencepolitique #histoire

Encore une discussion amorcée aujourd’hui sur twitter, et qui renvoie vers un sujet sur lequel je voulais réfléchir depuis longtemps.

C’est parti d’un tweet de Looping :

Pour la suite de la discussion, j’ai essayé de faire une présentation en parallèle, pour donner une idée de la ramification de la discussion :

Dans le chapitre 7 de son livre sur les politiques de luttes contre le cancer…

…que j’ai lu dans le cadre de mon travail sur les faibles doses et les modèles mathématiques utilisés pour l’extrapolation des fortes doses (auxquelles on a des résultats) vers les faibles doses (auxquelles se situent les expositions de la majorité des populations, hors expositions professionnelles et accidents), Robert Proctor conclue sur une idée qui m’a beaucoup étonné…donc intéressé…et fait réfléchir. Rien de plus ennuyeux de lire ce que tu sais/penses déjà, sauf si c’est une idée spontanée et personnelle, jamais partagée avec personne, que tu relis soudain chez d’autres, reconnus. Donc mon moteur, c’est l’étonnement, le truc auquel je ne m’attends pas, ou mieux, le truc dont je pense intuitivement le contraire.

Proximité idéologique entre nazisme et écologie ?

Ce qu’il dit, c’est que les idéologies de centre droit et de centre gauche, les libéraux disons, se retrouvent dans une conception d’une planète/d’une nature costaud, auto-réparatrice, qui se débrouille, les océans sont infinis et gèrent la pollution par dilution, le réchauffement, comme le trou de la couche d’ozone, c’est cyclique, ça passera. Je grossis le trait mais vous voyez le genre. Le centre droit et le centre de gauche avant que l’écologie soit à la mode/consensuel/mainstream, disons depuis Rio/1992. D’un autre côté, le nazisme, plutôt écologiste, avec une vision de la Terre et de la nature plutôt faibles, en danger, qu’il faut protéger, que l’espèce humaine a mis en danger par son activité, qu’il faut donc se dépêcher de mettre à l’abri des dangers de la pollutions. Des dangers concernant les paysages, les espaces naturels, la faune et la flore, et enfin, l’espèce humaine elle-même, et plus particulièrement les enfants, « notre avenir ».

Dans l’ensemble, après le premier choc (je n’avais jamais pensé que, ne serait-ce que sur une question bien précise, je serais plus proche de la vision du monde des nazis que celle des partis politiques démocrates), cette analyse m’a convaincue. Je suis hyper caricaturale et simpliste ici, mais j’espère que je vous ai donné envie de lire et de réfléchir au sujet.

Exercice pratique

Regardez donc cette conférence de presse de Marine Le Pen/le FN sur la sécurité alimentaire, et dites moi si c’est pas hyper proche, d’une part, dans certains points, de l’idéologie nazie (l’inquiétude sur l’espèce humaine, les enfants), et d’autre part des positions d’EELV et du Réseau Environnement Santé. Je sais, c’est dur, mais je crois que c’est vrai.

Aveu/disclaimer

Je me rends compte que le titre de cet article est un peu trompeur. Savoir si l’écologie (politique) est de droite ou de gauche est une question un peu éloignée de savoir si la protection de la nature est plus partagée entre les écolos et les partis traditionnels/démocratiques/républicains (appelez-les comme vous voulez) ou entre les écolos et les nazis et les  partis d’extrême droite comme le Front National des Le Pen…Si vous râlez trop en commentaires, on avisera.

Référence du livre

PROCTOR, Robert N. Cancer Wars: How Politics Shapes What We Know and Don’t Know About Cancer, New York: Basic Books, 1995, 368 pp.

Taux marginal, taux effectif : comprendre enfin les impôts #pédagogie

Article écrit en collaboration avec Cédric Morin. Suite à des échanges sur twitter, les questions de l’une, les figures de l’autre, deux mails, un framapad, transféré dans un googledoc (on peut y faire des tableaux), quelques tasses de thé et un dîner laotien…

Au cours de la campagne présidentielle, François Hollande a proposé la création d’une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu au taux marginal de 75% pour les revenus supérieurs à 1 million d’euros.

A cette occasion on a pu entendre de nombreuses réactions sur l’injustice que cela pouvait représenter que de prélever 75% du revenu.

Certaines de ces réactions étaient très certainement de la pure mauvaise foi partisane (“mesure confiscatoire”), mais les discussions émanant de cette proposition ont aussi été l’occasion de constater que les notions de tranche, taux marginal et taux réel d’imposition étaient le plus souvent très floues dans l’esprit de nombreuses personnes.

Essayons donc de reprendre tout cela dans l’ordre.

Les tranches de revenu et le taux marginal d’imposition

Dans l’imaginaire populaire, changer de tranche de revenu est vécu comme un drame. Combien de fois a-t-on entendu parents ou proches s’inquiéter de savoir si telle ou telle augmentation de revenu n’allait pas les faire changer de tranche et donc payer soudain plus d’impôts ?
Le plus simple, pour comprendre ce qu’il se passe, serait de tracer la courbe des impôts en fonction du revenu…ou plutôt du “quotient familial” (QF), parce qu’un même revenu n’est pas imposé de la même façon selon le nombre de personnes (parts) qu’il est censé faire vivre (nourrir). On appelle QF, le quotient du revenu par le nombre de parts ; et le nombre de parts est de 1 par adulte, et de 0,5 par enfant, sauf cas particuliers. Il faut donc tracer la courbe des impôts payés en fonction du quotient familial (QF), et là on voit tout de suite qu’il n’y a aucun « saut » dans la courbe lorsqu’on change de tranche :

Montant de l’impôt en fonction du quotient familial
Sur l’axe horizontal le QF. Un célibataire qui gagne 20 000 €/an paye environ 1 500 € d’impôts.
Chaque changement de tranche se matérialise par un changement de la pente de la courbe et un trait vertical.

En mathématique on dit que la courbe est « continue » : elle ne présente pas de cassure, on peut la tracer continûment sans lever le crayon. Pour la définition exacte de la continuité d’une fonction lire l‘article de Wikipedia.

Voyons en détail comment on obtient cette courbe. On part du dernier barème de l’impôt publié :

Barème 2011
TRANCHE DU REVENU 2010 TAUX D’IMPOSITION 2011
Jusqu’a 5 963 € 0 %
de 5 964 à 11 896 € 5,5 %
de 11 897 à 26 420 € 14 %
de 26 421 à 70 830 € 30 %
plus de 70 830 € 41 %

Dans ce tableau, ce qu’on nomme le taux d’imposition est en fait le taux marginal : c’est un pourcentage qui ne s’applique qu’à une partie des revenus, celle de la tranche concernée. On voit que le taux marginal est plus important pour les forts revenus : c’est ce qu’on appelle la progressivité de l’impôt. On voit aussi que dans chaque tranche, le montant d’impôt à payer est proportionnel au QF : on dit que la fonction impôts est linéaire par morceaux. Selon ce barème, la partie du QF compris entre 0 et 5963 € est imposée à 0%, puis la partie du QF comprise entre 5 963 € et 11 896 € est imposée à 5%, la partie entre 11 896 € et 26420 € est imposée à 14% etc.

Un célibataire qui a 20 000 € de revenus, donc 20 000 € de QF, va être imposé dans 3 tranches différentes, une partie à 0%, une partie à 5,5%, et ce qui est au dessus de 11897 €, à 14%. Ce qui donne :
(5963) * 0% + (11896-5963)*5,5% + (20000-11896)*14% = 1460,88 € d’impôts

Pour toute valeur de QF (sans qu’on sache a priori dans quelles tranches il sera imposé), la fonction qui donne le montant total de l’impôt en fonction du QF peut donc s’écrire sous la forme suivante :

MinMax[0,QF, 5963] * 0
+ (MinMax[5963, QF, 11896] – 5963)*5.5/100
+ (MinMax[11896, QF, 26420] – 11896)*14/100
+ (MinMax[26420, QF, 70830] – 26420)*30/100
+ (Max[QF, 70830]-70830)*41/100

où Max[x,b] renvoie le plus grand des deux nombres x et b, et MinMax[a,x,b] renvoie x si compris entre a et b, a si x<a et b si x>b.

Ainsi on peut vérifier que passer de la fin de la tranche à 14% au début de la tranche à 30% ne fait varier l’impôt que de quelques dizaines de centimes :

  • avec un QF de 26 419 €, l’impôt est de 2 359,54 €
  • avec un QF de 26 421 €, l’impôt est de 2 359,98 €.

On a changé de tranche, mais pas vraiment de montant de l’impôt. C’est pareil pour tous les changements de tranches, qui se font donc sans “saut” sur l’impôt payé.

Taux d’imposition réel

Le taux d’imposition que l’on retient en général est celui de la tranche de revenu dans laquelle on est : le célibataire qui gagne 20 000 € d’impôts se trouve dans la tranche à 14%.
Pourtant, il s’agit là d’un taux marginal et non pas de l’impôt réellement payé. Ce qui compte, c’est plutôt ce qu’on paye vraiment à la fin, au total, sur l’ensemble de son revenu ou QF. Le taux réel d’imposition (ou taux effectif) désigne le pourcentage d’impôts réellement payé.

Toujours dans notre exemple du célibataire avec 20 000 € de revenu, l’impôt payé est de 1 460,88 € pour un revenu de 20 000 €. Soit un taux réel d’imposition de (1460,88/20000)x100=7,30%…alors que le taux marginal de la dernière tranche qui le concerne était de 14%. Cette information, le taux effectif d’imposition est indiqué depuis quelques années sur l’avis d’imposition :

Exemple de feuille d’imposition où figure le taux réel d’imposition

De même qu’on a précédemment tracé la courbe de l’impôt payé en fonction du QF, on peut tracer la courbe du taux réel d’imposition en fonction du QF.

Taux réel d’imposition en fonction du quotient familial
Chaque changement de tranche se repère ici par un point anguleux dans la courbure de la fonction, et toujours un trait vertical.

La proposition de François Hollande

Lors de la campagne électorale présidentielle de 2012, François Hollande a proposé de créer une nouvelle tranche pour les revenus au delà de 1 million d’euros. Dans cette tranche, la partie des revenus au dessus de ce seuil serait imposée à 75% au lieu des 41% actuels (qui sont valables quel que soit le montant au dessus d’un QF de 70 830 €).

Même si cela n’a pas été précisé clairement, on suppose que ce seuil de 1 million concerne bien le quotient familial et non pas le revenu.

Pour bien voir l’impact de cette proposition sur l’impôt payé, il faut tracer la courbe sur une échelle de revenus beaucoup plus large :

Montant de l’impôt en fonction du QF pour les hauts revenus
On voit bien que pour un célibataire ayant un revenu d’exactement 1 million d’euros, l’impôt resterait inchangé. La différence se ferait progressivement au delà de ce seuil (en bleu, la réforme Hollande sur la tranche à 1 million d’euros).

Si l’on trace maintenant la courbe du taux d’impôt réel, on constate la même chose :

Taux réel d’imposition pour les hauts revenus
On voit aussi que même arrivé à 2 millions de QF, le taux d’imposition réel reste inférieur à 60%,
loin des 75% du taux marginal de cette nouvelle tranche (en bleu, la réforme Hollande sur la tranche à 1 million d’euros).

Pour résumer et pour rêver un peu, voici la situation pour quelques QF :

QF annuel Montant de l’impôt actuel Taux effectif actuel Montant de l’impôt avec la tranche FH Taux effectif avec tranche la FH
1000000€ 396642€ 39.7% 396642 € 39.7%
1050000€ 417142€ 39.7% 434142 € 41.3%
1200000€ 478642€ 39.9% 546642 € 45.5%
1500000€ 601642€ 40.1% 771642 € 51.4%
2500000€ 1011640€ 40.4% 1521640 € 60.9%
5000000€ 2036640€ 40.7% 3396640 € 67.9%

Attention : on s’est concentré ici sur la tranche à 75% alors que F.Hollande propose, sur le même principe, encore une tranche entre celle à 41% et celle à 75%. Voir les références en bas de l’article.

On ne voit donc pas bien comment on peut arriver à “90% de prélèvement”. La CSG est prélevée à la source, et l’ISF ne concerne pas les revenus…

Et ça concernerait qui, cette nouvelle tranche ?

De l’aveu même du site de campagne de François Hollande, cette mesure s’avère plus symbolique que réellement efficace. Selon eux, seuls 3000 à 3500 foyers fiscaux seraient concernés. Pour mémoire, en France, 99% des salariés à temps plein gagnent moins de 7 500 € net/mois soit 90 000 €/an (chiffres 2009 selon l’observatoire des inégalités).

Pour aider à fixer des ordres de grandeur de la population concernée, le patron du CAC 40 qui avait la plus grosse rémunération en 2011 gagnait 4,5 millions d’euros. Et en moyenne un dirigeant d’une société du CAC 40 gagne environ 2,5 millions d’euros.

Dans le monde du foot, les 10 joueurs de ligue 1 les mieux payés gagnent en moyenne 4,2 millions d’euros bruts par an.

Dans le monde du spectacle, Benjamin Castaldi, le mieux payé des animateurs télé gagnait en 2011 environ 1,3 million d’euros net par an.
Il n’y a qu’une dizaine d’acteurs français qui gagnent en une année plus de 1,5 million d’euros. De même parmi les chanteurs, ils n’étaient par exemple qu’une dizaine à gagner plus de 1,2 million d’euros en 2010.

Beaucoup de bruit…

En conclusion, beaucoup de bruit et de désinformation pour une mesure dont on ne sait pas encore si le porteur sera élu, la défendra vraiment, pour quelle durée, avec ou sans “aménagements”. Espérons que cette annonce aura au moins permis à chacun de réviser le fonctionnement des impôts en France…et de savoir s’il est plutôt de droite ou de gauche.

Pour aller plus loin

  • Un article du Monde qui décortique la mesure proposée par F.Hollande.
  • Un article d’Arrêt sur images sur le même sujet.
  • D’autres aspects de cette question mériteraient des billets séparés (qu’on ne vous promet pas du tout) : l’évolution du nombre de tranches : le passage récent de 11 tranches à 5 en France (mouvement parallèle dans les autres pays de l’OCDE). Les courbes étaient forcément plus lisses avec davantage de tranches. Difficile de comparer avec la situation actuelle…à cause de l’inflation qui est prise en compte pour définir les seuils des tranches.
  • Thomas Piketty propose une révolution fiscale et permet sur son site de placer votre revenu dans la distribution des revenus français, retrouver le revenu qui correspond à un percentile donné et surtout de simuler votre propre réforme fiscale.

A quoi servent les impôts ?

C’est une question importante qui fait partie des éléments qui peuvent servir à définir ce qu’être de gauche ou de droite veut dire (certains ont parfois du mal à se trouver)…