Voici quelques notes de mon visionnage des 2 premiers épisodes de Äkta Människor (« Real Humans » en anglais, « 100% humains » en français). Quelques observations, beaucoup de questions (= mon style, normal).
Avertissement : je ne suis pas une adepte [des séries] comme j’en ai autant autour de moi, donc je ne n’en ai sans doute pas les codes. En particulier, je ne sais pas en parler sans raconter en partie ce qu’il se passe. Donc #spoileralert
Je précise aussi que comme quand je vais au cinéma, je n’ai rien lu sur la série avant de la voir. La campagne de pub insistante mais efficace d’arte m’a suffi à me décider. Donc je vous conseille d’en faire autant. Si vous aviez envie de lire des choses pour vous décider à voir ou non la série, mon conseil sera : voyez-là, vous ne perdrez pas votre temps. Et si au bout de 1h (= 1 épisode), ça ne vous a pas touché, eh bien vous n’aurez perdu qu’une heure, ça va.
Il se passe quoi ? #spoileralert #unpeulongdésolée
La série nous entraine dans trois histoires (1) qui se croisent.
Chez la Famille Engman. C’est une famille de classe moyenne supérieure avec 3 enfants (un ado de 16 ans, une fille de 14 et une petite de 5-6. A la louche, hein). La maman (Inger) est avocate, s’habille de façon très classe, et le père doit avoir un boulot du même genre de standing (ou supérieur). Ils vivent dans une belle maison de banlieue résidentielle. En quelques minutes, on nous brosse le tableau d’une famille heureuse mais dont les enfants aimeraient plus d’attention des parents, et les parents aimeraient tellement tout bien faire pour eux. Aider les devoirs du grand (Tobbe), aider la petite (Sofia) à faire des crêpes, lire une histoire au lit, etc. Ils sont débordés, désolés, mais on sent qu’ils sont cools aux cheveux punky de la fille du milieu (Mathilda). La mère est pourtant très opposée aux hubots, qui commencent à arriver chez tous les amis/voisins. Elle va finir par en accepter un sous son toit car son mari et les enfants insistent et qu’il est gratuit, offert en promotion par un vendeur redoutable lors de l’achat du nouveau hubot du père d’Inger. Ainsi arrive le hubot Anita et commencent les ennuis.
Anita (à gauche) et Inger.
Histoire annexe à celle-là, celle de Lennart, père d’Inger. On le voit conduit par son hubot au supermarché vieilli et mal en point. Le hubot va bugger et faire des bêtises. Il faudra en racheter un alors que le vieux monsieur était tellement attaché à son Odi et c’est comme ça que l’histoire se rattache à la famille Engman. Il y a donc 2 sous-histoires imbriquées dans cette partie.
Chez Roger et Therese, voisins mitoyens des Engman. On ne sait pas depuis quand Roger supporte que sa femme passe autant de temps avec son hubot Rick (que l’on voit principalement en train de dérouler un logiciel de coach sportif). Roger ne supporte pas les hubots. Il se sent envahi au boulot par eux (qui font des travaux d’ouvriers de manutention. Rigolo que des hubots ouvriers soient habillés comme des humains ouvriers…). Therese a un fils, Kevin, dont on apprend qu’il a été élevé par Roger qui l’aime (naturellement) comme son fils biologique (mais ne semble pas avoir de droits sur lui, comme ça pourrait être le cas lors de l’adoption). Therese finira par se barrer avec Rick en emmenant son fils et empêchant d’avoir un quelconque contact avec Roger. Roger n’arrête pas de cogner dans les hubots de son boulot, est sans cesse rappelé à l’ordre par sa hiérarchie, on le voit bien parti pour être chômeur, seul, aigri et alcoolique. Mais la série est ainsi faite que le spectateur est de son côté. Il y a donc peu à peu 2 sous-histoires : Therese, Rick et Kevin d’un côté, Roger de l’autre.
La cavale de quelques hubots, « les enfants de David ». La première scène où on les croise est assez palpitante, façon thriller. Les hubots semblent d’abord menés par un humain, Leo, mais ils se séparent rapidement quand le prioritaire pour Leo devient de retrouver Mimi, une hubot qui lui dit « Je t’aime » avant d’être sauvagement enlevée par des voyous qui se font de l’argent de revente de vieux hubots. Leo part d’un côté avec Max le hubot. Les 5 autres avancent avec leur cheffe au look effroyable (je ne sais pas si c’est l’effet recherché), autoritaire.
On nous fait partager les flashbacks de Leo. Il est enfant, et il y a toujours une hubot (celle du début). Il cherche désespérément à la retrouver, en exhibant une photo d’elle. Dont nous voyons (mais il ne le sait pas, #huhu) que c’est en fait la Anita de chez les Engman. On suit d’un côté la cavale par bois et églises des fugitifs (et c’est assez ennuyeux et monotone. Les enjeux sont d’une part, de ne pas se faire prendre par les humains (des flics spécialisés dans les hubots), d’autre part, de réussir à se recharger régulièrement. Et de l’autre, Leo et Max, et les lieux qu’ils visitent et la nature hybride (ou j’ai rien compris) de Leo sont un peu plus intéressants.
Il y a donc 2 sous-histoires dans chacune des 3 histoires. Quelle symétrie ;). En attendant que la 3ème histoire rejoigne inévitablement la 1ère (puisque Leo cherche Anita). Les 2 premières sont déjà liées.
C’est quoi ce monde, alors ?
C’est très proche d’aujourd’hui, avec une place pas délirante donnée au web et aux tablettes tactiles. Pas de voitures volantes, pas de super pouvoirs, pas de téléportation, pas de grosse mises en scène à la Minority Report (les images sur les énormes écrans transparents qu’on manipule avec des gants chelous, etc.), pas croisé de télé, je crois. Des tablettes type iPad avec des bords hyper épais et métalliques (bizarrement rétro comme look). Pas beaucoup de recherche de ces côtés-là. En fait on peut dire que le seul élément perturbateur de ce monde par rapport au notre (et ça suffit largement à poser beaucoup de questions et foutre la zizanie) : les hubots. Je dirais qu’on est dans un monde où ça ne fait que 5-10 ans que sont sortis les 1ers hubots et que leur démocratisation est encore plus récente (2-3 ans ?). Ils coutent encore chers, mais pas comme les poupées hyper réalistes qu’on trouve aujourd’hui autour de 5-6 000 euros (exemple doll story).
Ça se passe en Suède, mais ça pourrait être n’importe quel pays du monde occidental, avec quelques noirs (mais pas trop). Film assez refermé sur ses problèmes hyper locaux, pour le moment. Très soap, quelque part. Pas de gouvernement, de télé, de conflit intérieur ou international, le seul problème qui vient gêner ce monde paisible semble être les questions concernant les hubots : en avoir ou pas ; lutter contre ou pas (mouvement Äkta Människor…). Mais ce qui tombe bien, c’est que les hubots posent des questions universelles !
Et les hubots, donc
Les hubots sont des robots bons à tout faire, des appareils électroménagers multifonctions (tâches ménagères, mais aussi faire la lecture aux enfants, les habiller, conduire la voiture d’un vieux, lui faire à manger et lui préparer ses médicaments, etc.) mais ils sont dans certains cas carrément des compagnons de vie, qui éclairent la vie d’un vieux monsieur tout seul, servent d’épaule pour pleurer, d’oreilles pour des confidences et se sentir entendu, voire, un compagnon sexuel, donc un vrai compagnon complet ! Et cela n’est possible (c’est mon hypothèse mais c’est évident, non ?) que grâce à leur apparence humaine réaliste, ce qui donne leur nom de hu-bots.
Ils ont une sorte de peau, des mouvements de type respiration (et même essoufflement quand ils sont fatigués /près de se décharger), une sorte de cerveau gélatineux bleu (parce que rouge, ça ferait vraiment trop ? (2)) , une sorte de sang qui (dont on ne sait pas s’il irrigue tout le corps), des ongles, des cheveux, des poils, des tétons/seins. Pas encore vu s’ils avaient quelque chose qui ressemble à des organes génitaux externes, mais vu les pratiques au Hubot Heaven, je pense que oui.
On ne dit rien sur la température corporelle des hubots, mais je pense qu’ils sont obligatoirement à la température de la surface des corps humains (35°C ?) car sinon, ils ne seraient pas agréables à toucher, et ça leur enlèverait une part de leurs fonctions sociales.
Un point intéressant et central de cette série est bien sûr la forme qui a été choisie pour les hubots. Je suis très heureuse d’avoir vu cette série après (des années après) avoir lu l’article de Jean-No sur son « dernier blog » (pas retrouvé le lien de l’article alors que je suis sûre que j’ai lu ça chez lui la 1ère fois de ma vie) qui m’a fait connaitre la notion d’inquiétante étrangeté de la vallée de l’uncanny. Oui, les hubots mettent un peu mal à l’aise, ils sont pile dans cette vallée, et cela permet à tout le scénario de se déployer. Rien de ce film n’aurait été possible (crédible) sans cette apparence précise de ces robots domestiques.
Chacun des hubots-personnages (j’exclue donc ceux qui font de la figuration, n’ont pas de nom, de rôle précis, sont interchangeables, font partie du décor) a un comportement précis, une façon d’être entre humain et robot. Rick est très crédible, par exemple, mais ses plissements de yeux et son sourire me font fait peur. Comme Vera, l’infirmière en gériartrie habillée en soubrette de Lennart, avec son inquiétant regard hitchcockien.
Le moins naturel, par exemple c’est l’ouverture soudaine de leurs yeux quand ils ont fini d’être rechargés (voir photos ci-dessous, avant et après).
On pourrait presque penser que c’est un feature et non pas un bug-non-réaliste, pensé par les concepteurs des hubots dans le monde décrit dans le film, pour diminuer un petit peu, artificiellement (alors qu’ils auraient pu faire plus réaliste), ce sentiment de trop grande proximité qui caractérise l’inquiétante étrangeté dont j’ai parlé plus haut.
A ce stade, on ne sait pas encore (ou alors je n’ai pas compris ?) qu’est-ce qui distingue les hubots en cavale des hubots domestiques ? Ont-ils acquis la capacité de réfléchir par eux-mêmes, en dehors de toutes les situations prévues par leurs divers logiciels ? Ils seraient du coup en quête de liberté, comme des êtres humaines que d’autres êtres humains auraient réduit en esclavage, revendiquant une liberté légitime ? A comprendre dans les épisodes suivants. Car ils ne tuent des humains que ci ceux-ci les menacent physiquement (donc contrairement à des machines, ils ont un attachement à leur enveloppe corporelle. Les humains qui les chassent, qui ne tolèrent les hubots qu’à l’état de domestiques, se sentent-ils menacés par les hubots ? Menacés par cette bande de 4-5 qui aspirent juste à « vivre » « libres » ou menacés par un fantasmatique renversement de domination entre les hubots et les humains ?
Jeux d’acteur pour les hubots
Juste des perruques de cheveux artificiels, semble-t-il (3), sauf quand ils sont remplacés par des mannequins de type vitrine quand ils partent à la casse.
Le jeu des acteurs n’est pas trop surfait, ils n’ont pas des gestes saccadés qu’on ferait dans un jeu de mimes pour faire deviner un robot. Juste quelques raideurs mais pas trop. Juste quelques mouvements pas tout à fait fluides pour être totalement naturels. Donc un bon jeu d’acteurs (ceux qui me connaissent savent que j’aime les jeux discrets et sous-joués, plutôt à la nouvelle vague qu’à l’expressionnisme).
Pourquoi c’est intéressant ?
Ca touche de vraies questions de société, des questions parfois universelles : la relation (et les droits ?) des beaux-parents qui ont élevé des enfants de leurs époux/ses/conjoint/e ; les parents qui travaillent et qui aimeraient avoir plus de temps pour faire des crêpes avec leurs enfants, leur lire des histoires, les amener à l’école, partager leurs secrets, avoir le temps de faire l’amour, de travailler et de dormir suffisamment ; dénoncer quelqu’un qui ne pourra pas se défendre pour sauver sa peau ou assumer ses fautes/maladie ; la liberté, l’aliénation de l’être humain par l’être humain, qui a quels droits et qui décide de ça, qu’est-ce qu’on peut faire faire à autrui et avec quelle contrepartie, etc.
Les situations ne sont pas caricaturales et simplistes, on n’a pas tout le temps envie de dire « Mais c’est quoi cette connerie ? Il n’a qu’à faire … et ça s’arrangerait, non mais vraiment je ne comprends pas pourquoi il n’a pas pris telle décision à tel moment », etc. Vous voyez le genre ou je suis la seule à m’énerver parfois ainsi devant de mauvais films ?
Quelques répliques/séquences remarquables
- « You can’t just buy a Kevin », crie Roger à Inger qui refuse de lui donner le nouveau numéro de téléphone de Therese parce qu’elle le lui a défendu. Il est révolté et plein de bon sens et sa lucidité donne cette belle réplique.
- La copine de Therese qui vit ouvertement son amour avec son hubot Bo : « Les gens qui ne comprennent pas notre amour n’ont jamais été amoureux, ne savent pas ce que c’est ».
La copine de Therese qui vit ouvertement son amour avec son hubot.
Détail significatif, quand on lui demande où elle a acheté son hubot, elle éclate de rire et répond : on s’est connu (rencontrés ? We’ve met) au hubmarket. Sous entendu : je ne suis pas allé l’acheter, il s’agit d’une rencontre amoureuse. On a envie de lui dire « Arrête tes conneries, c’est quand même un robot et toi tu étais cliente dans ce supermarché et lui, le produit en vente, et tu as payé, lui n’avait pas le choix », mais on est troublé par sa sincérité, et on ne peut pas si facilement l’envoyer balader ainsi
- Chez Therese, comme le hubot Rick est devenu l’amant de la mère, c’est au fils de ranger la cuisine, et non plus au hubot dont on aurait pu penser que c’était la tâche première.
- Kevin rejette le compagnon-hubot de sa mère, ou plutot le fait que sa mère semble perdre la tête, à essayer de remplacer son mari par son hubot, et donc forcer Kevin à oublier son père et le remplacer par le hubot-compagnon de sa mère. Therese a soudain une idée de génie : elle propose à son fils de passer du temps seul avec Ricky, pour qu’ils établissent enfin une complicité qu’elle pense leur manque. Kevin refuse.
La mère : « J’ai pourtant pensé…. » […que ça pourrait être bien]
Kevin : « Continue de ne pas penser ! »
Kevin
J’ai trouvé ça beau, même si j’ai eu un doute sur la traduction (est-ce qu’il dit vraiment ça en v.o. ?) (Épisode 2, min 43)
- La panique de la maman (Inger) qui voit sa petite fille s’approcher de plus en plus du hubot Anita : elle est plus disponible, jamais fatiguée, ne dort pas, peut lire des histoires à l’infini. Le seul défaut d’Anita (et de tous les hubots ?), semble être de ne pas savoir mentir. Et du coup se faire accuse à tort. Et toute la famille se sent hyper bête quand ils se rendent compte qu’ils étaient en train d’accuser le hubot de service des fautes de la petite innoncente de la famille, comme à l’époque (et dans Victor ou les enfants…) on aurait accusé la bonne ou la belle-fille maltraitée à la Cendrillon. (Épisode 2, min 55)
Ma conclusion très provisoire (2 épisodes sur 10)
La série pose donc de vraies questions, et a suffisamment de rythme et des personnages travaillés pour ne pas s’ennuyer. Pas encore trop téléphoné (c’est ce qui me fait fuire des mauvais films et séries). Ils ont poussé le concept jusqu’au bout, ont exploré tous les recoins, toutes les conséquences d’avoir introduit ces éléments perturbateurs dans ce monde, toutes les situations où la proximité (ressemblance ?) homme/hubot pouvait amener à des situations incongrues et inédites, et disons-le, sans solution simple.
Je pense donc que c’est un très bon outil pour poser des questions de société. Les poser, mais sans y apporter de réponse, ce qui est très fort et louable. Bon support pédagogique, pour un type de cours à inventer, comme de la philo à l’école. Qui m’en propose ? J’accepte !
— Notes
(1) pour le moment, peut-être qu’il y en aura d’autres, mais ça serait bizarre de ne pas les « installer » dans les chapitres d’ouverture, non ?
(2) Je ne peux m’empêcher de penser à cette « revue » (fanzine ?) féministe des années 90-2000, publiée le groupe Marie Pas Claires (j’adore le titre !) dont le sous-titre était : « Nos règles sont rouges. Si les vôtres sont bleues, vous regardez trop la télé ». De mémoire, avec toute mon affection et mon admiration, et mon regret de ne pas avoir vraiment milité avec elles ni avec aucun autre groupe féministe.
(3) Alors qu’on imagine qu’une société fabriquant des hubots peut aussi leur mettre des vrais cheveux, mais on peut penser que c’était important dans le film pour nous donner cette impression de vrai-faux, puisque les hubots allaient être joués par des humains.